BAREME « MACRON »
Par ordonnance en date du 22 septembre 2017, l’article L 1235-3 du Code du travail, relatif à la réparation du préjudice résultant du licenciement abusif, a été modifié. Il a ainsi été créé un barème fixant des minima et des maxima d’indemnisation, ne tenant compte que de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise, et ne laissant au juge aucune marge d’appréciation du préjudice. Pour exemple, un salarié ayant 30 ans et plus d’ancienneté, ne peut être indemnisé entre 3 et 20 mois de salaire brut…..
La résistance judiciaire à ce texte a été menée tant sur le plan national que sur le plan international.
A – Sur le plan national
1/ Le Conseil Constitutionnel
Le Conseil Constitutionnel[1] a été saisi par des députés, dès l’ordonnance promulguée. Si le Conseil Constitutionnel ne remet pas en cause la responsabilité contractuelle, obligeant celui qui cause à autrui un dommage à le réparer, il rajoute que la « faculté d’agir en responsabilité » … « ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée… »
En fixant un référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le législateur a entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat de travail. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général. En clair, on sécurise les employeurs qui veulent licencier !
Et le Conseil constitutionnel de rajouter que la « dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute, résultant des maximums prévus par les dispositions contestées, n’institue pas des restrictions disproportionnées par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi » ! La boucle est bouclée : l’intérêt général, c’est la protection des employeurs !
Conclusion : le barème est conforme à la Constitution !!!
2/ la lutte devant les tribunaux judiciaires
La lutte a été menée essentiellement par les organisations syndicales CGT et FO et par les avocats (Syndicat des Avocats de France -SAF-), tant devant les Conseils de Prud’hommes que devant les Cours d’appel.
Il n’est pas possible de retracer ici toutes les décisions résistantes au barème Macron, la plupart étant basée notamment sur le droit européen et les règlements de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Après une première tentative de la Cour de cassation de mettre à mal cette résistance, par un avis favorable au barème en 2019, des Conseils de Prud’homme et des Cours d’appel ont continué de résister, sachant que les avis de la Cour de cassation ne sont que des avis….qui ne s’imposent pas aux juges !
Par deux arrêts en date du mercredi 11 mai 2022[2], la chambre sociale de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, juge que :
- Le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail.
- Le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard de cette convention internationale.
- La loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct.
En clair, la Cour de cassation met à mal les résistances au barème…Mais c’est sans compter l’international… !
B – sur le plan international
1/ l’Organisation Internationale du Travail
Les syndicats CGT et FO ont présenté au bureau de l’OIT le 31 janvier 2017, une réclamation concernant le non respect par la France de la convention n°158, relative au licenciement. Cette réclamation initiale fera l’objet d’un complément d‘information le 1er février 2019, relativement au barème.
L’OIT a rendu sa décision en mars 2022.
« Le comité considère…que la conformité d’un barème, et donc d’un plafonnement, avec l’article 10 de la convention[3], dépend du fait que soit assurée une protection suffisante des personnes injustement licenciées et que soit versée, dans tous les cas, une indemnité adéquate ».
« Dans ces conditions, le comité invite le gouvernement à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévu à l’article L 1235-3, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif ».
Cette décision, d’application immédiate à la France, était un premier pas, même si un peu timide à mon goût ! Mais voyons la décision européenne….
2/ Le Comité européen des droits sociaux
Ce comité a été saisi par la CGT et FO, pour ce qui concerne les organisations syndicales ouvrières, en 2018.
Par décision du 23 mars 2022, publiée le 26 septembre 2022, « le comité considère que les plafonds prévus par l’article L.1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur.
En outre le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le salarié en question lié aux circonstances individuelles de l’affaire peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé.
En outre, les autres voies de droit sont limitées à certains cas.
Le Comité considère donc, à la lumière de tous les éléments ci-dessus, que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la Charte n’est pas garanti.
Par conséquent, le Comité dit qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte. »
C’est une très belle victoire qui devra motiver les militants conseillers prud’homaux et défenseurs syndicaux pour mettre à bas ce barème !
Le combat continue !
CVL
NOTES
Article 10 de la convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail
« Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »
Charte Européenne révisée
Article 24 – Droit à la protection en cas de licenciement
En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître:
- le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service;
- le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.
[1] Décision n°2018-761 DC du 21 mars 2018
[2] Pourvois n° 21-14.490 et 21-15.247