Durant ces jeux Olympiques, l’audace créatrice et réjouissante des spectacles de la cérémonie d’ouverture et
l’enthousiasme populaire qui a suivi infligent à mes yeux une défaite à l’extrême droite et ses croisés dans la guerre idéologique menée aujourd’hui.
L’obsession identitaire et suprémaciste qui les parcourt refuse d’accorder le moindre crédit à ce que sont Aya Nakamura ou Barbara Butch, totalement étrangères à leur norme réactionnaire, et on frise l’apoplexie quand leur présence se conjugue avec l’évocation astucieuse de l’Académie française et de la BNF ou la présence d’Alexandre Kantorow jouant du Ravel.
Ils s’obstinent à diaboliser des chorégraphies et des sons bizarres autant que l’emploi de références esthétiques et artistiques qu’ils sont convaincus d’avoir préemptées à vie (même quand ils se ridiculisent à les confondre).
L’idée d’une révolution en cours et le symbole de la concorde dans une société où chacune et chacun puisse trouver sa place en toute quiétude leur sont étrangers.
Que notre pays s’affiche ainsi les rend manifestement fous de rage.
Entendons-nous sur le sens de cette défaite. Elle ne marque pas, comme on le lit ici ou là, la victoire de la culture
pop (attribut de modernité) sur les académismes (dont l’extrême droite est pétrie), ni celle de la mondialisation
culturelle sur le repli identitaire.
La belle diversité des propos et esthétiques convoqués par Thomas Jolly et ses équipes inflige une défaite cinglante en ceci qu’elle postule le droit de chacune et chacun de se trouver transporté par cet enchaînement subtil de tableaux et de séquences artistiques et de s’y découvrir un appétit de comprendre et de connaître qui a vite enflammé les discussions et les réseaux sociaux.
Et, éventuellement, d’aller plus loin.
En effet, l’étonnement joyeux et la curiosité qu’on y entend ne sont-ils pas un bien précieux pour l’avenir démocratique du pays ?
Nous y devinons la perspective de femmes et d’hommes cultivés, nourris de connaissances solidement référencées et argumentées qui sont tout autre chose que « la ref’ », en forme de clin d’oeil, vantée chaque jour, où l’on confond connaissances et connivence ; tolérants et ouverts à des esthétiques et des propos étranges, voire bizarres et dérangeants, et disponibles pour en comprendre les clefs et les ressorts ; des citoyennes et des citoyens qui échappent à la catégorisation de consommateurs de contenu à laquelle les industries culturelles (fausses amies de la culture populaire) s’emploient chaque jour à les réduire.
Des femmes et des hommes qui enjambent dans les deux sens la vieille et bien dominatrice dichotomie cultures savantes/cultures populaires et considèrent que la création doit être encouragée et défendue dans son essence
libératrice, que les conformismes et les assignations doivent régulièrement être dynamités, que les répertoires, les traditions et autres patrimoines parfois vite ringardisés sont un bien commun à partager, et que le travail/acte de
création trouve ici une place nouvelle, émancipatrice – temps long de l’apprentissage et temps long de la compréhension emmêlés, dépassement quotidien de soi, à rebours des stériles injonctions de consommation et de reproduction rapides que le marketing nous inflige chaque jour.
Cette embellie olympique, dans le contexte où elle survient, met à point de l’eau au moulin de l’action pour mettre à jour et promouvoir les principes, les actions et outils d’une démocratie cultivée qui ne peut exister sans un puissant service public de la culture, occupé tout à la fois d’encourager, avec constance et exigence, la création, la formation, la diffusion autant que l’éducation artistique et culturelle, notamment en direction des publics jeunes, et bénéficiant des moyens budgétaires de cet engagement.
Continuer de faire enrager l’extrême droite et le libéralisme en faisant de la création artistique un bien commun réellement partagé : voici un beau chantier pour le Nouveau Front populaire. Et bravo à Paris 2024 de l’avoir
ouvert. ■
par Edgard Garcia
Vendredi 6 septembre