L’inquiétude des patients face au coût réel des soins

La hausse du ticket modérateur envisagée par le gouvernement va notamment affecter les retraités.

O n veut faire payer aux patients le déficit de la Sécurité sociale, c’est une remise en cause du principe de solidarité nationale », s’inquiète Féreuze Aziza, chargée de mission à France Assos Santé, qui fédère des associations d’usagers.
La hausse envisagée par le gouvernement, pour les consultations médicales, du ticket modérateur, soit la somme à payer après remboursement de la « Sécu », et couverte par les complémentaires santé, a mis en alerte les associations de patients.

Aujourd’hui, ce « ticket » représente 30 % (et pourrait s’élever demain à 40 %) : concrètement, sur un tarif de 26,50 euros pour une consultation de base chez un généraliste, 70 % sont couverts par la Sécurité sociale, soit 18,55 euros (dont 2 euros restent à la charge du patient au titre de la « participation forfaitaire »), et le ticket modérateur représente 7,95 euros.

Après le doublement, en 2024, des franchises médicales, sommes restant à leur charge quand les patients achètent des médicaments ou consultent un professionnel de santé, cette nouvelle piste d’économies endossée par l’exécutif, pour 2025, aura « fatalement » pour effet la hausse des cotisations des complémentaires, fait observer l’experte.
Et pour conséquence un « risque encore accru de renoncement aux soins », en premier lieu chez des personnes ne bénéficiant pas de contrats collectifs (ceux négociés par les entreprises) : chômeurs, agriculteurs, travailleurs indépendants, précaires et retraités. « C’est pour cette dernière catégorie que l’on peut craindre le pire », insiste-t-elle, rappelant que ce sont eux qui, en raison de leur âge, et parce qu’ils souscrivent des contrats individuels, versent les cotisations les plus élevées.

Face aux craintes, et avant que ne débute dans l’Hémicycle l’examen du projet de loi de financement de la « Sécu » à l’Assemblée, lundi 28 octobre, l’exécutif a tenté de déminer le terrain : la hausse du ticket modérateur doit épargner les plus fragiles et les plus malades, en premier lieu les patients en affection longue durée (ALD), martèle le ministère de la santé.
Mais le discours ne convainc pas.

Le phénomène est connu et documenté : ces malades chroniques ont beau être les mieux couverts par la « Sécu » – à 100 % pour les soins relevant de leur ALD –, ils sont ceux dont les restes à charge sont les plus élevés.
Un fait qui peut paraître contre-intuitif mais que quelques chiffres résument bien : si les sommes non remboursées (ni par l’Assurance maladie ni par les complémentaires) représentent une moyenne de 250 euros par personne et par an, elles sont plus de trois fois supérieures pour les malades chroniques, soit 840 euros, selon un rapport de juin des inspections des affaires sociales et des finances.

  • Restes à charge « invisibles »

Derrière, c’est le débat autour du « vrai coût » de la maladie, véritable serpent de mer pour les associations, qui émerge de nouveau.
Et, avec lui, les témoignages de patients qui, tout en reconnaissant pour la plupart un fonctionnement protecteur du système, se confient sur un reste à charge de plus en plus difficile à assumer.

Anne Angelini, 70 ans, tient à jour son estimation mensuelle. Kinésithérapie posturale (pour 17,14 euros de reste à charge), pharmacie (21,60 euros), franchises (12 euros), chaussettes de contention (6 euros), pédicure-podologue (8,75 euros) : sur cinq lignes, la retraitée a reporté ce que lui coûte sa maladie auto-immune, une polychondrite chronique atrophiante.
« J’en suis à 65,49 euros par mois, soit 785,88 euros à l’année, et pour 1 mois et ma petite retraite de 775,87 euros, ça n’est pas négligeable : cela représente pratiquement 10 % de mes revenus.»

Dominique Garnier, 67 ans, vient, elle, de rassembler les sommes qui, au titre des franchises médicales, lui ont été retenues durant l’année. Pour se rendre compte que le « plafond » officiel (50 euros par patient et par an, même en ALD) était « largement » dépassé. « J’ai contacté ma Caisse [primaire d’Assurance-maladie], qui m’a conseillé de préparer un courrier de réclamation, mais ça risque de prendre du temps », rapporte cette ex-responsable financière, atteinte de polyarthrite rhumatoïde.
Une autre évolution lui a sauté aux yeux, liée à son changement de mutuelle et de contrat : « Quand je travaillais, mes cotisations atteignaient 120 euros par mois, même avec des options supplémentaires, et mon reste à charge sur l’année se situait entre 1000 et 1 500 euros. Désormais, je paie ma mutuelle 185 euros par mois, mais le niveau des garanties a baissé et ma maladie me coûte deux fois plus cher. »

L’une comme l’autre le soulignent : elles ne se sentent pas les « plus mal loties ». Façon de dire qu’elles n’ont pas à renoncer à un praticien pour cause de dépassements d’honoraires, ou à une prise en charge parce qu’elle n’est pas remboursée.
Or c’est le cas de plus de la moitié des participants (53,2 %) à une enquête menée par France Assos Santé, qui a impliqué 3 100 personnes malades chroniques, en situation de handicap ou de perte d’autonomie, dont les premiers résultats ont été dévoilés mercredi 23 octobre.

La fédération a centré le questionnaire sur les restes à charge dits « invisibles », liés à du petit matériel de soins, des lotions et produits qui soulagent les traitements, des aides techniques ou ménagères, ou des séances chez le diététicien, le psychologue, qui n’apparaissent pas dans les bases de données officielles et viennent s’ajouter aux dépenses identifiées.

Premier enseignement : ces frais sont très importants, puisqu’ils atteignent, en moyenne, 1 557 euros par an et par malade.
Deuxième enseignement : ils sont en nette hausse, une enquête de moindre ampleur menée en 2019 situant cette moyenne à 1 000 euros.

Parmi ces nouvelles données, l’une d’elles rejoint de nombreux témoignages : 40 % des répondants déclarent avoir dû renoncer à un soutien psychologique.
« Ce qui nous revient très souvent, dans notre réseau de patients atteints de maladies neurologiques graves, c’est le renoncement à des prises en charge qui ne sont pas strictement médicales mais qui sont, pourtant, nécessaires pour mieux vivre ou survivre, relate Mado Gilanton, présidente de l’association Apaiser S&C, dévolue aux personnes souffrant de syringomyélie ou de malformation de Chiari. A l’annonce du diagnostic, quand on conseille aux patients de s’entourer d’un psychologue, on se heurte de plus en plus souvent à la même réponse : “Je n’ai pas les moyens.” A la peur de la maladie s’ajoute celle de s’enfoncer financièrement.»

  • « Je suis toujours perdante »

Pour ne pas « plonger », Laurence (elle a requis l’anonymat), journaliste de 53 ans, qui bénéficie d’une  reconnaissance en ALD pour son diabète, mais pas pour la maladie de Lyme, envisage de quitter la région parisienne, et de faire un emprunt. « A mon contrat de mutuelle de niveau 3 [l’un des plus couvrants], j’ai ajouté un “sur-contrat”, dit-elle.
Pourtant, en fonction de mes dépenses, c’est l’un ou l’autre qui joue, les deux ne se complètent jamais. Je suis toujours perdante. »

Au-delà des difficultés à comprendre le fonctionnement du système de remboursement, les situations ont parfois quelque chose d’« ubuesque ».
Comme celle de Marion Mersadier, 46 ans, pour qui une dysplasie ectodermique, maladie génétique affectant les dents, la peau, les cheveux et les glandes sudoripares, a été diagnostiquée sur le tard. A 20 ans, pour les huit dents qui lui manquaient, son père lui offre une « réhabilitation dentaire », des greffes et des implants.
« Il m’avait dit, en riant,“tu as le prix d’une voiture dans la bouche” », se souvient l’enseignante. Deux décennies plus tard, ses dents ont bougé, l’opération est à reprogrammer.
Sa mutuelle prend en charge les implants… pas les prothèses.
Elle remercie là encore son père : sans l’héritage qu’il lui a laissé, elle ne pourrait pas se projeter. ■

lundi 28 octobre 2024

 

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