Lucie Baud, Pionnière du syndicalisme

Décédée en mars 1913 à l’âge de 43 ans, Lucie Baud a mené en Isère des batailles acharnées contre les licenciements d’ouvrières du textile, les baisses de salaire et les conditions de vie indignes. Le destin d’une guerrière qui compte dans l’histoire des luttes pour les droits des femmes.

«Vous n’êtes qu’une petite femme !»«Vous n’êtes qu’un capitaliste!»

Voilà, selon l’historienne Michelle Perrot, l’échange qu’aurait eu Lucie Baud en 1905 avec son patron. Adapté en téléfilm en 2018 par Gérard Mordillat, son livre Mélancolie ouvrière rend hommage à cette ouvrière du textile qui n’était pas prédestinée à devenir une héroïne, comme elle la quali­fie. Le dictionnaire biographique Le Maitron, bible du syndicalisme, mentionne le récit que Lucie Baud a livré en 1908 au journal Le Mouvement socialiste, comme un « tableau précieux de la condi­tion ouvrière féminine dans l’Isère au début du XX’ siècle».

Dans ce texte à la première personne, elle témoigne de sa vie «un peu mouvementée d’ouvrière soyeuse et de militante syndicaliste». Née le 23 février 1870 en Isère, d’un père cultivateur et charron, et d’une mère ouvrière soyeuse, elle entre à 12 ans comme apprentie dans une usine où environ 800 tisseuses travaillent «douze heures et, quelquefois, treize et quatorze heures par jour».

VEUVE À 31 ANS

Six ans plus tard, elle rejoint la maison Duplan où, malgré « un commencement de baisse des salaires», « personne n’ose protester», car« il n’y [a] aucune organisation. [syndicale] ». Lucie Baud fait d’ailleurs peu parler d’elle avant 1902,juste après le décès de son mari, garde champêtre, avec qui elle a eu trois enfants (l’un d’eux meurt avant d’avoir un an). Elle prend alors la tête du Syndicat des ouvriers et ouvrières en soierie du canton de Vizille, créé avec l’aide de militants de la bourse du travail de Grenoble.

En 1904, à Reims, seule femme déléguée syndicale au Congrès national de l’industrie textile, elle est applaudie à la tribune par ses camarades qui lui offrent des fleurs mais pas la parole. Ses faits d’arme interviennent en 1905 et 1906, lorsqu’elle mène deux longues grèves contre les licenciements et les baisses de salaires. Lucie Baud décrit une «guerre à outrance» contre le patronat local, avec l’organisation de «soupes communistes» pour nourrir les ouvrières sans le sou.

DORTOIRS INSALUBRES

À l’issue de la première grève, Lucie Baud quitte Vizille pour Voiron, car «les ouvrières qui avaient résisté ne pouvaient trouver du travail [dans la commune]». Elle y débarque en pleine agitation: «Le 19 mars 1906, la grève générale du tissage de la soierie a été déclarée et elle dur[e] jusqu’aux premiers jours de juin», lorsque les patrons acceptent un nouveau barème de salaires. Lucie Baud dénonce également les employeurs qui logent certaines ouvrières, notamment Italiennes, dans des dortoirs indignes. En 1906, elle tente de se suicider, confiant des « chagrins familiaux». « Elle était abandonnée et critiquée par sa famille », décrypte Michelle Perrot. Deux ans après ce geste -qu’elle élude dans son récit-, Lucie Baud tire un bilan lucide des victoires emportées et à emporter contre « l’exploitation qui sévit dans ces bagnes». « C’est à l’action syndicaliste qu’il appartient d’avoir raison des exigences patronales», conclut-elle.

REPÈRES

1902

Lucie Baud crée, avec l’aide de militants de la bourse du travail de Grenoble, le Syndicat des ouvriers et ouvrières en soierie de Vizille, en Isère.

Elle en devient secrétaire.

1905 et 1906

Elle mène deux grèves d’ouvrières textiles, à Vizille puis à Voiron. L’organisation de la solidarité leur permet de tenir pendant plusieurs mois.

Juin 1908

Dans un récit livré au journal Le Mouvement socialiste, elle témoigne de sa « vie un peu mouvementée d’ouvrière soyeuse et de militante syndicaliste ».

Ludovic FINEZ

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